"La lutte contre les discriminations se trouvera appuyée par le projet de loi-cadre sur l'accès au logement que présentera le gouvernement dans les prochains mois", a assuré Cécile Duflot, en clôture du séminaire "Egalité dans le logement", organisé mercredi 7 novembre par l'Acsé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances), le CNFPT et le Défenseur des droits.
La ministre de l'Egalité des territoires et du Logement a précisé que le projet de loi comportera un volet dédié à l'encadrement des pratiques des agences immobilières en vue de mieux les "contrôler". "Les sondés victimes de discriminations estiment que, plus de quatre fois sur dix, elles résultent d'agences immobilières", a souligné Cécile Duflot, en se référant au sondage Ifop réalisé à la demande du Défenseur des droits (lire l'encadré ci-dessous).
Marie-Christine Debenedetti, chargée de mission Lutte contre les discriminations à Villeurbanne, avait présenté dans l'après-midi le "testing pédagogique" entrepris auprès des agences immobilières de la commune. Pendant six mois, deux personnes "test" se sont rendues dans les agences de la ville en faisant croire qu'elles souhaitaient louer un logement. L'une portait un prénom et un nom supposés d'origine maghrébine et l'autre un prénom et un nom supposés d'origine française, les autres caractéristiques de revenu, d'âge, de sexe… étant équivalentes. Résultat : la première personne a rencontré deux fois plus de réactions discriminatoires que l'autre.
Les manifestations étaient diverses : on vante un appartement à l'une et on dissuade l'autre de le visiter, on incite l'une à déposer un dossier et pas l'autre, on promet "on vous rappellera plus tard" à l'une (promesse non suivie d'effet) et pas à l'autre… Si l'audit est qualifié de "pédagogique", c'est qu'il avait été annoncé aux agences de la ville et via la presse locale. C'est aussi parce que la démarche ne s'arrête pas au constat. La ville a diffusé les résultats auprès des agences (qui ont "accepté les résultats", souligne Marie-Christine Debenedetti) et une quinzaine d'entre elles, aujourd'hui, travaillent avec la ville pour réfléchir à la manière de changer les comportements.
Cécile Duflot a également confirmé que le futur projet de loi prévoira de réformer les rapports locatifs "afin de sécuriser l'accès au logement par une réforme de la GRL [garantie des risques locatifs, ndlr]" et de réformer les procédures d'attribution des logements sociaux. A ce propos, la ministre a annoncé que "le cas de parents séparés pourrait être apprécié afin de permettre que chacun puisse accueillir ses enfants lorsqu'il bénéficie d'un droit de garde, quel qu'il soit". Une mesure lourde de symbole qui s'inscrit dans "une meilleure prise en compte de la question femmes-hommes". Les futures attributions devraient également "lever les freins" à l'accès au logement pour les femmes victimes de violence.
Quant à l'accessibilité des personnes handicapées (accessibilité au sens large : à la location du logement et à la configuration du logement lui-même), la ministre a renvoyé la question au rapport commandé par le Premier ministre à la sénatrice Claire-Lise Campion (voir notre article ci-contre du 9 octobre dernier) pour la fin de l'année, visant à définir les moyens à mettre en oeuvre, avec les acteurs de terrain, pour atteindre les objectifs fixés pour 2015 par la loi Handicap de 2005.
"La mixité sociale, tout le monde est pour, mais personne ne la souhaite pour soi", a rappelé François Pupponi, député-maire de Sarcelles, en revendiquant l'idée d'interdire aux bénéficiaires du droit au logement opposable (Dalo) d'être logés dans des ZUS. En tribune du séminaire, l'éventualité de cette "interdiction de séjour des publics Dalo" a fait "bondir" Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité au logement des personnes défavorisées, ainsi qu'Hélène Sainte-Marie. "Choquée", la directrice de projet Droit au logement et à l'hébergement à la DGALN (ministère du Logement) reconnaît que, "certes, il faut tenir compte de la mixité sociale ", mais elle ne voudrait pas que ce débat soit le prétexte pour "refuser de concrétiser le droit au logement qui est garanti par la loi".
"Continuer à faire venir des populations en grande difficulté dans ces quartiers, c'est presque criminel, y compris pour les habitants des quartiers : on crée et on entretient les ghettos", a bien tenté d'expliquer François Pupponi devant un public exprimant également son hostilité. "On parle discrimination et on parle de fermer la porte à ceux qui sont en souffrance", a résumé Christophe Robert. Le délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre, qui intervenait en conclusion de ce séminaire en qualité de grand témoin, a par ailleurs assuré : "Je comprends Pupponi : il est hors de question que les villes qui ont beaucoup de logement social soient les seules à contribuer à l'effort de solidarité nationale."
La mixité sociale passe par l'accueil des populations pauvres dans des villes riches, avait défendu l'élu de Sarcelles, en mettant en avant la question financière. "Une fois le problème du logement réglé, il faudra régler les autres problèmes : scolaires, d'emploi, de santé…", liste-t-il. "A Sarcelles, je suis très fier d'avoir instauré la cantine gratuite pour les enfants des familles les plus pauvres. Cette gratuité est financée par les 40% des habitants qui payent un impôt et ils payent trois fois plus cher à Sarcelles qu'à Neuilly parce que la ville elle-même est pauvre en ressources", s'emporte-t-il.
En clôture de séminaire, Cécile Duflot a montré qu'elle avait conscience du problème : "La juxtaposition de la loi Dalo, de l'objectif de mixité sociale dans les quartiers rénovés et de la législation anti-discrimination [constituent] des priorités et des objectifs difficilement conciliables et donnent lieu à des tensions", a-t-elle déclaré.
Valérie Liquet
Discriminations dans l'accès au logement : résultats de l'enquête Ifop
Le Défenseur des droits avait commandé en octobre un sondage auprès de l’Ifop sur la perception et le vécu des discriminations dans l’accès à un logement locatif, afin d’identifier d’éventuelles différences liées au fait de résider dans un quartier sensible. L'enquête a été effectuée en octobre, auprès de 1.000 personnes représentatives de la population française et 502 personnes représentatives de la population résidant en ZUS.
Il apparaît ainsi que 82% des Français considèrent que les discriminations dans l’accès à un logement locatif sont fréquentes. Paradoxalement, seulement 70% des habitants des ZUS le pensent aussi, alors qu'ils s'en disent davantage victimes (35%, contre 27% pour l'ensemble des Français). Pour 37% des habitants des ZUS, la discrimination dont ils ont été victimes serait liée "à leur origine" (comprendre : "discriminations ethnoraciales", selon une expression empruntée à SOS Racisme), contre 14% pour l'ensemble des Français.
Sans surprise non plus, les personnes ayant un revenu irrégulier (CDD, intérim) sont perçues comme étant les plus exposées à des différences de traitement (91% des Français dans leur ensemble le pensent, 85% des habitants des ZUS).
Les actes de discrimination à l’égard des candidats à la location viendraient de propriétaires individuels (54% de l'échantillon représentant la France entière le pensent et 43% des habitants des ZUS), d'agences immobilières (21% France entière, 26% habitants des ZUS), et dans une moindre mesure des bailleurs sociaux (4% France entière, 10% habitants des ZUS). "Ces représentations ne résistent pourtant pas à l‘épreuve des faits", souligne l'Ifop, qui observe : "Si les victimes (France entière) pointent majoritairement les propriétaires (54%), les discriminations sont également fréquemment le fait des agences immobilières (42%) et des organismes gérant le logement social (30%)." Les habitants des ZUS ayant eu le sentiment d'avoir été victimes de discriminations pointent d'abord les bailleurs avec qui ils ont le plus fréquemment de contacts, à savoir les organismes HLM (50%), puis les propriétaires (49%) et enfin les agences immobilières (46 %).
"L’importance des discriminations dans le logement, perçues comme vécues, est soulignée par le fait qu’une partie non négligeable des personnes non victimes à ce jour craignent d’être discriminées dans l’avenir (56% des habitants des ZUS et 30% pour la France entière)", note l'Ifop.
Ce sondage informe autant sur la discrimination à l'oeuvre que sur le sentiment de discrimination, révélateur d'un marché du logement tendu. "La crise du logement aggrave la concurrence et brouille la frontière entre sélection dans l'accès au logement et discriminations", notait d'ailleurs Cécile Duflot en clôture du séminaire "Egalité dans le logement".
V. L.
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