Entre les maires et l'ducation nationale, le bonheur est dans le dialogue


Invité à débattre lors du Congrès des maires, mercredi 20 novembre, dans le cadre d'une table-ronde intitulée "les maires face aux enjeux d'un maillage territorial scolaire de proximité et de qualité", Jean-Michel Blanquer est d'abord apparu confiant. "L'Éducation nationale et les maires, nous sommes dans un même bateau. Vous n'avez pas des objectifs différents du mien, et mes objectifs sont conformes aux vôtres", a lancé le ministre de l'Éducation nationale en guise d'introduction. Puis il y est allé d'une anecdote, en contant une de ces opérations "qui sont parfois l'occasion d'associer les maires". "Le fait de distribuer chaque année Les Fables de La Fontaine à tous les élèves de CM2, tirés à 800.000 exemplaires et illustrés par un artiste de très grande qualité, qui s'en est rendu compte ?" a interrogé Jean-Michel Blanquer avant de jeter un coup d'œil périphérique pour bien s'assurer que de nombreuses mains se levaient. Devant l'absence de réaction de la salle, son visage a d'abord marqué la surprise. Puis il a conclu sur un mode optimiste : "J'espère que l'année prochaine, tout le monde lèvera le doigt, car j'ai écrit à tous les maires de France pour leur dire que nous faisions ça."

Où sont passées Les Fables de La Fontaine ?

Agnès Le Brun, maire de Morlaix et rapporteur de la commission de l'éducation de l'AMF, ne s'est pas fait prier pour tirer la morale de cette fable moderne : "Vous avez donné un exemple qui me semble extrêmement illustratif de la nécessité que nous avons de nous parler constamment. Vous avez vu la réaction dans la salle. Personne ne contestera cette idée et je crois pouvoir dire que tout le monde a envie de l'applaudir à deux mains, mais cela ne s'est pas produit comme vous auriez voulu que cela se produise. De cérémonie, personne n'en a vu. Les stocks ont dû arriver et il serait intéressant de savoir où et dans quelles conditions ils ont été distribués. J'ai une petite idée là-dessus... C'est dommage, car malgré la volonté que cela se passe avec de vrais points de convergence, en cours de route, tout s'effrite et à l'arrivée cela n'est plus ce que vous avez espéré et ce que nous avons nous-mêmes souhaité."

Mais que souhaitent de concert Éducation nationale et maires ? Pour Jean-Michel Blanquer, il s'agit d'une école primaire – "la première de nos priorités", dixit le ministre – qui "fasse envie", et notamment en milieu rural, là où le recul démographique se fait le plus cruellement sentir. Les maires invités à débattre semblaient d'accord avec cet objectif. Mais avaient parfois du mal à l'atteindre… en raison de l'attitude même de l'Éducation nationale.

Quand le maire en appelle au hors-contrat

À La Bussière, commune de 330 habitants de la Vienne, l'école communale a fermé en 1991. Son maire actuel, Éric Viaud, a été élu en 2014. Quand il a vu pour la première fois le recteur d'académie afin de lui demander une ouverture d'école pour neuf ou dix enfants, celui-ci a prétendu qu'il était "l'homme d'un autre âge". "Comme la République n'est pas venue à nous, je n'avais pas d'autre solution que de créer une école hors contrat. Et même si je n'ai pas pu m'occuper d'ouvrir l'école car un maire n'en a pas le droit, j'ai incité quelqu'un à créer une association pour donner naissance à l'école Gilbert-Bécaud, qui a été conseiller municipal dans notre commune, selon les pédagogies Montessori-Freinet. Elle a ouvert en septembre avec huit élèves, qui seront douze à Noël." Mais le maire affirme que cette école n'a pas vocation à rester hors contrat et qu'il ne veut pas de guerre des écoles, alors que la commune subventionne par ailleurs un RPI (regroupement pédagogique intercommunal). "Nous sommes ravis que cette école ait été créée, il s'agit de la vie du village. L'école est à côté de la mairie et tous les matins, en ouvrant les fenêtres, pour moi qui suis professeur de musique, j'entends la plus belle des musiques, les cris des enfants dans la cour de l'école."

Émilie Kuchel, adjointe au maire de Brest, chargée de l'éducation, a de son côté évoqué les difficultés liées à l'abaissement à trois ans de l'âge légal de l'instruction : "Nous étions il y a trois ans à environ 60% d'enfants dans les écoles publiques. Aujourd'hui, il y a une forte baisse des effectifs du public en faveur du privé. Or, avec l'abaissement à trois ans, nous avons une difficulté. Nous financions les écoles maternelles de façon volontariste à raison de 1,2 million d'euros. Dans les écoles privées sous contrat, nous donnions environ 700 euros par enfant. Or le coût dans les écoles publiques est de 1.600 euros car nous mettons une Atsem par classe. La loi va ainsi nous coûter 1,6 million qu'on ne sait pas financer aujourd'hui. Et on ne sait pas si on va être aidés par l'État." L'élue bretonne est également revenue sur le dédoublement des classes de CP et CE1, qu'elle a qualifiée de "très belle réforme" tout en déplorant que certains établissements ne soient pas dimensionnés pour y faire face. Dans la salle, le maire d'une commune du Maine-et-Loire a rebondi sur l'aspect financier des adaptations nécessaires : "On ne peut pas financer seuls les investissements. On va mourir", a-t-il lancé.

Les réformes du ministre de l'Éducation, aussi appréciées par les élus soient-elles, sont-elles vouées à se heurter aux manques de moyens des collectivités ? Jean-Michel Blanquer a rappelé qu'une compensation de 100 millions d'euros en faveur des communes était prévue pour 2021 afin de compenser le coût de l'abaissement de l'âge de l'instruction à trois ans.

Bilan positif pour la convention ruralité

En attendant, il est des mesures relevant de la concertation qui donnent satisfaction malgré quelques couacs, à l'image des conventions ruralité. Alain Sanz, maire de Rébénacq et président de l'Association des maires des Pyrénées-Atlantiques, a témoigné : "À chaque rentrée scolaire, les fermetures de classe étaient très mal vécues par les élus. À la commission départementale de l'Éducation nationale (CDEN), dont je suis membre, cela devenait de plus en plus insupportable. Nous étions une chambre d'enregistrement, nous apprenions les fermetures d'école lors des réunions de la commission." En janvier 2016, quand le projet d'une convention ruralité a été annoncé, les élus locaux ont d'abord très mal accueilli le nouveau dispositif, estimant qu'il allait favoriser la réduction du nombre de postes, entraînant des suppressions de classes à courte échéance. Malgré des débats houleux, il a été décidé, chez les élus, d'être présents autour de la table et d'entamer une concertation avec l'Éducation nationale. La prise en compte des spécificités du département (ruralité et montagne) a ainsi été acceptée par les services de l'Éducation nationale, non sans l'intervention directe de Jean-Michel Blanquer. Alain Sanz tire aujourd'hui un "bilan positif" de la convention, en précisant notamment que, désormais, une concertation avait lieu bien en amont des réunions de la CDEN. "Quand on se parle, on arrive à construire quelque chose", a conclu l'élu béarnais.

Et alors qu'elle s'était d'abord, lors de son propos introductif, posé la question de savoir "si nous devions évoluer" en matière d'éducation, Agnès Le Brun a rebondi sur ce propos dans sa conclusion : "Les choses peuvent et doivent évoluer. Avec nous, c'est mieux !"

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