Le Snat adopte la proposition de loi pour lutter contre les fraudes sociales


Le Sénat a adopté en première lecture, le 11 mars, la proposition de loi tendant à appliquer diverses mesures urgentes pour lutter contre les fraudes sociales. Le texte s'appelait à l'origine "tendant à appliquer vingt-quatre mesures urgentes pour lutter contre les fraudes sociales", mais plusieurs d'entre elles n'ont pas survécu à l'examen en commission et en séance publique, d'où le changement de nom. La proposition de la loi avait été déposée en décembre dernier par Nathalie Goulet, sénatrice de l'Orne, et par ses collègues du groupe Union centriste.

Possibilités de contrôle renforcées pour les départements

La proposition de loi s'appuie sur les – nombreuses – études menées ces dernières années sur la question de la fraude sociale, à l'image du récent rapport de la Cour des comptes sur le sujet, commandé par le Sénat (voir notre article du 10 septembre 2020), ou de celui de l'Assemblée nationale (voir notre article du 17 septembre 2020). Dans sa version adoptée par le Sénat, le texte ne compte plus que 12 articles au lieu des 25 initiaux, compte tenu des nombreuses suppressions et de quelques ajouts d'articles. La commission des affaires sociales du Sénat a ainsi supprimé pas moins de 13 articles, soit parce que les mesures proposées étaient déjà satisfaites, soit parce qu'elles présentaient des faiblesses importantes pour une éventuelle mise en œuvre.

Le Sénat a néanmoins adopté plusieurs dispositions du texte d'origine et en a ajouté quelques-autres. En séance publique, les sénateurs ont ainsi adopté un article additionnel renforçant les possibilités de contrôle des départements. Celui-ci ajoute en effet les personnels autorisés par le président du conseil départemental à la liste de agents "habilités à s'échanger tous renseignements et tous documents utiles à l'accomplissement des missions de recherche et de constatation des fraudes en matière sociale [...], ainsi qu'au recouvrement des cotisations et contributions dues et des prestations sociales versées indûment". A ce jour, cette possibilité est officiellement réservée aux agents de l'État et à ceux des organismes de protection sociale. En revanche, les sénateurs ont supprimé en séance publique une disposition qui aurait permis l'habilitation d'agents des organismes de sécurité sociale et de l'inspection du travail à mener des enquêtes judiciaires, ce qui n'aurait pas manqué de poser un sérieux problème constitutionnel.

Une nouvelle procédure pour l'instruction des demandes de RSA

Figure également dans le texte adopté le 11 mars le conditionnement de l'octroi d'une APL (aide personnalisée au logement) à la transmission à la CAF ou à la caisse de MSA "des principales caractéristiques du logement auquel l'aide se rapporte susceptibles d'affecter sa valeur locative. Cette transmission est effectuée avant le premier versement par le bénéficiaire de l'aide ou, en cas de tiers payant, par le bailleur".

De même, un article additionnel modifie les conditions d'instruction de la demande de RSA. Il prévoit en effet que l'organisme chargé de l'instruction (département, CAF, MSA, CCAS...) peut "recueillir les informations nécessaires à l'appréciation des conditions d'ouverture, au calcul et au maintien du droit" après de toute une série d'organismes : administrations centrales de l'État (ce qui inclut l'administration fiscale), organismes de protection sociale, organismes d'assurance chômage, organismes de recouvrement (Urssaf), collectivités... En d'autres termes, à l'entrée en vigueur de cette mesure (le 1er janvier 2023 selon le texte), le demandeur n'aurait plus à fournir les pièces nécessaires à l'instruction de sa demande, l'organisme instructeur se chargeant de les récupérer auprès de ses différents partenaires, ce qui éliminerait un risque potentiel de fraude.

Contrôle d'existence renforcé pour les retraités à l'étranger

Le texte renforce également le contrôle de l'existence des retraités vivant à l'étranger en prévoyant que le justificatif annuel, aujourd'hui fourni par l'intéressé, "peut notamment être fourni ou certifié par un organisme de retraite d'un État étranger ayant conclu une convention à cette fin avec un organisme français". Dans le même esprit, un autre article prévoit que le gouvernement remet au Parlement un "rapport sur l'état de la lutte contre les fraudes transfrontalières".

A l'initiative du rapporteur, Jean-Marie Vanlerenbergue (Union centriste), les sénateurs ont adopté, à l'inverse, un article limitant l'obligation de versement sur un compte bancaire français ou européen aux seules allocations et prestations sociales liées à une condition de résidence en France. Les sénateurs ont en effet estimé que "les bénéficiaires (de nationalité française ou étrangère) de prestations non liées à une telle condition, par exemple les pensions de retraite, n'ont pas à être soumis à une telle obligation susceptible d'engendrer des lourdeurs et des frais d'un montant significatif".

Extension de la flagrance sociale et contrôle renforcé pour l'inscription au RNCPS

Côté répressif, les sénateurs ont adopté, en séance publique, un article additionnel qui étend la procédure de flagrance sociale (mise en place par la LFSS 2012) sociale à tout type de fraude sociale. La flagrance sociale permet notamment de prendre des mesures conservatoires immédiates, comme des saisies ou des inscriptions de garantie. Ils ont également renforcé le contrôle des inscriptions au RNCPS (répertoire national commun de la protection sociale) pour les ressortissants étrangers hors UE ou espace économique européen (EEE). La transmission d'une copie couleur du titre d'identité deviendrait ainsi obligatoire lors des demandes d'inscription au répertoire national. Un décret devrait préciser les exigences de présentation et de qualité des documents, ainsi que leur caractère récent. En cas de doute lors de l'analyse de ces pièces, il pourrait "être demandé à la personne de se présenter physiquement auprès des organismes chargés de son inscription".  

Un autre article précise les organismes de rattachement en fonction de la résidence de l'intéressé. Par exemple, "le département débiteur de l'allocation personnalisée d'autonomie, de la prestation de compensation du handicap et du revenu de solidarité active [...] est celui dans le ressort duquel l'intéressé a son domicile fiscal". Le texte initial de la proposition de loi prévoyait d'introduire la notion de "domicile social", calquée sur celle du domicile fiscal, mais cette disposition, qui risquait de créer de la complexité, a finalement été écartée.

Lutter contre les "entreprises éphémères"

Enfin, deux articles renforcent les mesures de déconventionnement des médecins responsables de fraudes sociales et durcissent les procédures de lutte contre les "entreprises éphémères", qui ont particulièrement sévi avec le chômage partiel à l'occasion de la crise sanitaire. L'article en question définit notamment cinq critères, dont le cumul d'au moins trois d'entre eux suffirait à établir l'"existence de présomptions graves et concordantes" (et donc de demander au chef d'entreprise d'apporter des justifications) : création depuis moins de 12 mois, activité arrêté moins de 6 mois après la création, utilisation des services d'une entreprise de domiciliation, siège hors de l'UE ou de l'EEE, plus de 10 salariés ou associés dès le premier mois ou plus de 20 dès le deuxième mois.

Le gouvernement, représenté en l'occurrence par Olivier Dussopt, le ministre délégué chargé des comptes publics, s'est montré globalement favorable au texte lors de la discussion générale de la proposition de loi, même s'il a pointé certaines dispositions qui "posent des problèmes d'opportunité, paraissent difficilement applicables ou ont connu une autre suite". Ces dispositions ayant été largement corrigées ou supprimées lors de la séance publique, le texte devrait donc aller – avec de probables aménagements et ajouts à l'Assemblée nationale – jusqu'au terme de son parcours parlementaire.

Référence : proposition de loi tendant à appliquer diverses mesures urgentes pour lutter contre les fraudes sociales (adoptée en première lecture par le Sénat le 11 mars 2021).

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