Dans l'attente du projet de loi "3D" sur la décentralisation, promis par le gouvernement, le Sénat a voté le 20 octobre, en première lecture, deux propositions de loi pour le "plein exercice des libertés locales".
Ces deux textes (l'un constitutionnel et l'autre organique) sont issus des propositions d'un groupe de travail sur la décentralisation réuni par le patron de la Haute Assemblée et présentées en juillet dernier au président de la République. Leur objectif est de "permettre un rééquilibrage des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités locales" - selon la rapporteure centriste, Françoise Gatel - et de "mettre un coup d'arrêt" à "l'atavisme centralisateur de l'Etat" - selon Philippe Bas, co-auteur de ces textes.
Les mesures de la proposition de loi constitutionnelle sont "sans doute plus importantes encore que les deux précédentes révisions constitutionnelles" qui ont précédé les réformes de la décentralisation des gouvernements Mauroy (en 1981) et Raffarin (en 2003), a estimé Philippe Bas.
Pour empêcher que la commune "ne devienne une coquille vidée dans l'intercommunalité", les sénateurs entendent consacrer dans la Constitution la clause générale de compétence qu'elle est le seul niveau de collectivité à détenir encore aujourd'hui.
Le Sénat veut aussi éviter que "l'Etat ne récupère les pouvoirs qu'il décentralise". Pour cela, il renforce le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales et inscrit dans la Constitution le principe selon lequel "qui décide paie". Cela doit aussi permettre de "sécuriser les compensations financières des transferts de compétences de l'Etat aux collectivités". Autres mesures défendues par les sénateurs : l'assouplissement du droit à l'expérimentation et l'inscription dans la Constitution de la possibilité pour le législateur d'attribuer des compétences distinctes à des collectivités de même catégorie (principe de différenciation). Ils souhaitent encore faire figurer dans la loi fondamentale le terme "territoires", en posant le principe "d'une représentation équitable des territoires".
Par ailleurs, les sénateurs redéfinissent les ressources propres des collectivités, en excluant les recettes fiscales sur lesquelles elles n'exercent aucun pouvoir de taux ou d'assiette. Selon le rapporteur pour avis de la commission des finances, Charles Guené, cette mesure conduirait à terme à "reterritorialiser" des impôts nationaux ou créer de nouveaux impôts locaux, pour un montant de l'ordre de 35 milliards d'euros. "Cela semble difficile à envisager", a-t-il concédé.
"La décentralisation est au coeur des réflexions du gouvernement", a d'emblée déclaré la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault. En faisant état de la volonté du gouvernement de "donner plus de libertés aux collectivités". La ministre a précisé que le "fameux projet de loi 3 D", qui viendra "consacrer les trois principes de décentralisation, différenciation, déconcentration", sera présenté en conseil des ministres en janvier prochain et examiné "au cours du premier semestre" 2021.
La proposition de loi constitutionnelle a été votée par 216 voix pour (LR, Centristes, Indépendants), 48 contre (RDPI à majorité En Marche, CRCE à majorité communiste, écologistes) et 77 abstentions (PS, quasi totalité du RDSE à majorité radicale). Elle a peu de chances de prospérer, Jacqueline Gourault ayant fait part de ses "réserves", tandis qu'Alain Richard (RDPI) pointait des "excès". En revanche, la ministre a relevé "la très grande proximité" de la proposition de loi organique avec le projet de loi sur la simplification des expérimentations, dont le Sénat débattra à partir du 3 novembre.
Quant à la proposition de loi organique, elle a été votée par 236 voix pour (dont le RDPI), 27 contre et 77 abstentions.
Les propositions de loi ont reçu un accueil nuancé à gauche. Eric Kerrouche a rappelé l'attachement des sénateurs PS, au-delà du principe de liberté, "au principe de l'égalité et de la fraternité des territoires", tandis que Cécile Cukierman (CRCE) a appelé à ne pas se précipiter "vers une désolidarisation des entités composant la République". Pour l'écologiste Guy Benarroche, les textes sénatoriaux ont "essentiellement une valeur déclarative".
La proposition de loi ordinaire, dernier élément du triptyque sénatorial et le plus important en volume – avec 54 articles – sera discutée ultérieurement.
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