Par 402 voix contre 130, l’Assemblée nationale a adopté ce 21 mars le projet de loi d’accélération du nucléaire, qui avait déjà recueilli une très large majorité au Sénat fin janvier (voir notre article). Les députés Renaissance, RN, Modem, Horizons, Liot, LR et communistes ont voté pour le texte tandis que les groupes LFI, socialistes et écologistes ont voté contre.
Ce texte technique entend simplifier les procédures pour concrétiser les promesses d'Emmanuel Macron de bâtir six nouveaux réacteurs EPR à l'horizon 2035, et lancer des études pour huit d'autres. Il est limité aux nouvelles installations situées sur des sites nucléaires existants ou à proximité. L’examen des articles, qui s’est achevé dans la nuit du 16 au 17 mars (voir notre article), avait abouti à l’adoption de 65 amendements, dont l’un confortant l’organisation "duale" sur laquelle repose la sûreté nucléaire au lieu de reprendre la proposition de l’exécutif d’une absorption de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
"Nous ne pouvons pas soutenir un texte qui préempte la loi de programmation énergie-climat", a expliqué la députée socialiste Marie-Noëlle Battistel, tout en rappelant que son parti n’était pas "une formation antinucléaire". "Maintenir ou intégrer des mesures de programmation vous offre la possibilité de nous priver de ce débat tant attendu", a souligné la députée de l'Isère, en référence à la suppression de l’objectif d’abaisser à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique et du plafond de production de 63,2 GW. Elle a jugé en outre que la réponse de la ministre de la Transition énergétique sur la réelle volonté de l’exécutif de présenter ce texte n’a pas été "rassurante".
Marie-Noëlle Battistel estime par ailleurs que "le retard pris par l’EPR de Flamanville n’a pas grand-chose à voir avec les détails de mise en compatibilité des Scot" mais s’explique par "un problème de capacité industrielle". "On fait de la législation sur une partie mineure du calendrier d’un nouveau réacteur", s’agace-t-elle. La députée socialiste a également fait part de son inquiétude sur plusieurs dispositions du texte, dont les dérogations à la loi Littoral et la suppression "ni plus ni moins" de la procédure d’autorisation d’exploitation, à l’initiative du groupe LR.
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste, a cité le dernier rapport du Giec. "Quoi que nous fassions, une augmentation de 1,5°C sera atteinte dès le début de l’année 2030 (…). Le calcul établissant que le nucléaire ne peut résoudre le problème du réchauffement climatique est simple : le Giec rappelle que, pour le limiter au plus près des 1,5°C supplémentaires, il faut, d’ici à 2030, réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 48% par rapport à 2019. Or 2030, c’est demain. Le calendrier du développement du nucléaire fourni par RTE prévoit, dans sa version optimiste, deux premiers réacteurs en 2035, deux autres en 2040 et les deux derniers en 2045 ; soit cinq ans, dix ans et quinze ans trop tard !"
"La seule solution est la planification de la sobriété et le développement massif des énergies renouvelables", a-t-elle soutenu. Or, selon elle, "le gouvernement a fait voter une loi sur les énergies renouvelables tellement faible qu’elle ne contient aucun objectif et aucun moyen". "Nous attendons toujours une véritable loi de programmation sur l’énergie et le climat, pour enfin respecter nos engagements selon une trajectoire socialement acceptable", a-t-elle souligné. Selon la cheffe de file du groupe écologiste, "le gouvernement fait le pari d’édifier quatorze EPR, qui ne sont ni construits ni financés". "Il relance un secteur en faillite et inopérant face aux conséquences du réchauffement climatique, a-t-elle poursuivi (lire notre encadré ci-dessous, ndlr). Cet été, plus de 50% des réacteurs étaient à l’arrêt, faute d’eau pour les refroidir. Le nucléaire est la deuxième activité la plus consommatrice d’eau douce : 31% de l’eau consommée sert au fonctionnement des centrales. Alors que la bataille de l’eau a déjà commencé, voulons-nous vraiment dépendre d’une énergie aquavore ?" "Que va-t-on choisir : boire, arroser les cultures ou refroidir les centrales ?", a également demandé Anne Stambach-Terrenoir (LFI, Haute-Garonne). L’élue a en outre insisté sur les "risques" et les "tonnes de déchets qui s’entassent pour des millénaires" avant de rappeler la fissure "importante" révélée récemment dans la tuyauterie d'un réacteur de la centrale de Penly (Seine-Maritime).
De son côté, le communiste Sébastien Jumel a décrit une "loi technique" pouvant être "appréhendée positivement" par son groupe, "sans chèque en blanc".
Au nom du groupe Liot, Benjamin Saint-Huile a regretté que la question du mix énergétique ait été examinée "par le petit bout de la lorgnette". "Il eût été logique de prévoir en premier lieu une loi de programmation qui fixe le cadre, a déclaré le député du Nord. Pour ce faire, il eût fallu anticiper le débat public, pour que nous puissions ensuite travailler sereinement. Par conséquent, seul un petit bout de la politique énergétique est débattu aujourd’hui ; d’autres sujets restent sans réponse. La crise énergétique et l’explosion des prix chez les artisans, dans les TPE – très petites entreprises – et dans les collectivités marquent la caducité des règles du marché européen de l’énergie. Il reste à savoir ce que vous voulez construire pour EDF, par quoi vous envisagez de remplacer l’Arenh – accès régulé à l’électricité nucléaire historique – et quelles propositions de réforme vous voulez défendre à l’échelle du marché européen de l’énergie", a-t-il dit en s’adressant à la ministre de la Transition énergétique. Faisant le parallèle avec la réforme des retraites et le fait que le gouvernement avait assuré qu’il n’aurait pas recours au 49.3 pour passer ce texte, le député a fait état du "doute" que cet épisode a créé dans son groupe s’agissant de la parole du gouvernement. À propos de la disparition des deux objectifs de réduction de la part du nucléaire dans le texte, il a estimé que "dans le flou, il y a un loup."
Xavier Albertini, pour le groupe Horizons, s’est félicité pour sa part que le texte permette un "gain de deux ans" dans la construction des EPR. Louise Morel, au nom du Modem, s’est réjouie d’un "signal fort envoyé à la filière nucléaire". Pour le RN, Nicolas Dragon a salué un "projet de loi qui va dans le bon sens" même si "sans réelle vision" ni ambition, contrairement au "plan Marie Curie" de son parti. Enfin, Olivier Marleix, président du groupe LR, accueille favorablement "un texte qui constitue le revirement tant réclamé" par son parti "après dix ans de politique antinucléaire" menée par François Hollande puis Emmanuel Macron. Il a néanmoins évoqué les nombreuses questions auxquelles le gouvernement n’a pas encore répondu, des usages aux choix techniques en passant par le financement.
Après le vote, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a loué la "co-construction" menée sur ce texte dédié à l'atome, envoyant "un signal clair à notre filière" nucléaire "qui a souffert d'injonctions contradictoires dans le passé". Le texte doit maintenant poursuivre son parcours parlementaire avec un compromis entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire ou lors d'une deuxième lecture.
Dans un rapport publié ce 21 mars, la Cour des comptes appelle les acteurs du nucléaire, EDF et État en tête, à renforcer l'adaptation des réacteurs au réchauffement climatique notamment en appréhendant mieux le problème de l'eau nécessaire au refroidissement des centrales. Plus qu'un enjeu financier, "l'adaptation des réacteurs nucléaires au changement climatique représente un défi d'anticipation, surtout à l'heure où notre pays s'engage sur le projet ambitieux du nouveau nucléaire," a résumé devant les sénateurs Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes. "Les conséquences du changement climatique affectent les installations (la résistance des matériels, la compatibilité avec des conditions de travail acceptables) et l'environnement proche en lien avec l'exploitation (le débit et la température des cours d'eau mais aussi le niveau de la mer)", a rappelé la magistrate. Estimé par EDF, le coût des investissements (construction de digues, rénovation de tours aéroréfrigérantes...) demeure "modeste", à environ 960 millions d'euros entre 2006-2021 et 600 millions pour les 15 ans à venir, souligne le rapport, qui appelle à une évaluation plus complète. Mais le pays manque de projections pour ces 10-15 ans quant à la disponibilité en eau douce et au débit des fleuves, alerte la Cour. "La disponibilité en eau représente le principal enjeu", souligne Annie Podeur, car les réacteurs en dépendent pour leur refroidissement, en "circuit ouvert" (eau prélevée puis rejetée, ce qui augmente la température des cours d'eau) comme "fermé" (moins de prélèvement d'eau mais évaporation). La Cour appelle à "mettre à jour les fondements scientifiques justifiant les limites réglementaires des rejets thermiques, et cela de manière concertée". Et pour le "nouveau nucléaire", susceptible de démarrer dès 2035, les contraintes climatiques seront encore plus fortes, insiste le rapport, qui invite à "examiner" les sites fonctionnant à l'étranger sous des climats chauds : "C'est une forme d'alerte adressée aux acteurs du nucléaire", dit Annie Podeur. De fait, la cour constate que les six futurs EPR2 souhaités par le gouvernement ne comportent "pas d'évolution technologique marquée" concernant le système de refroidissement "sobre en eau". Ne sont pas considérées non plus les projections les plus extrêmes en termes d'élévation de niveau des mers. La Cour invite à "produire rapidement des études de préfaisabilité" quant à la localisation des huit EPR supplémentaires aujourd'hui en option, et appelle à "une approche territorialisée et commune à l'ensemble des acteurs directement concernés". |
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