La Cour des comptes pointe du doigt les "lenteurs" et "l'insuffisance de cohérence et de détermination" dans les processus de modernisation de l'Etat et de la relation aux usagers. Demandé par les députés, le rapport "Relations aux usagers et modernisation de l'Etat : vers une généralisation des services publics numériques" met en lumière les dysfonctionnements dans la mise en œuvre et dans la gestion des téléservices par l'Etat. Dans une optique de généralisation du canal numérique pour toutes les procédures administratives, la Cour estime tout de même que les "conditions d'un progrès sont réunies", à condition que l'Etat suive une démarche "cohérente et déterminée". Lors de son allocution devant les membres du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, le premier président de la Cour, Didier Migaud, a rappelé les objectifs de la mise en œuvre de ces téléservices : "satisfaire les attentes des usagers, offrir un service de qualité, et améliorer la gestion publique". Face aux "réticences" de l'administration, la Cour des comptes a cherché à identifier les leviers qui pourront être mobilisés pour "accélérer la réforme de l'Etat et simplifier les relations avec les usagers".
Le recours aux services publics numériques est encore "insuffisant", selon Didier Migaud. Malgré une position jugée "honorable" dans les classements internationaux, la France accuse un certain retard par rapport à d'autres pays comme l'Espagne, le Danemark ou les Pays-Bas. Sa treizième position européenne est estimée "en-deçà des ambitions affichées", selon le rapport. Un retard qui n'est pas tant dû, pour le premier président, à l'offre qu'à l'utilisation de cette offre. En effet, malgré un taux de pénétration d'internet de 82%, seuls 44% des usagers utilisent des services numériques.
Comme le constate Didier Migaud, "de nombreux Français considèrent encore les démarches administratives comme un 'parcours du combattant'". Une situation qui s'explique, selon le rapport, par des facteurs culturels (préférence du contact direct, notoriété des téléservices…), par une fracture numérique toujours persistante (infrastructures, équipements et usages) et enfin par des démarches qui ne répondent pas forcément aux attentes des utilisateurs (mobilité, simplicité, dématérialisation de bout en bout). Par ailleurs, les rapporteurs notent que les administrations sollicitent peu les usagers et ne disposent pas de données sur les usages, l'intérêt et la satisfaction qu'ils retirent des différents téléservices. Pour Didier Migaud, "les gains tirés du recours à ces services ne font pas l'objet d'un suivi régulier". Un constat qui s'impose également pour les impacts en termes de gestion publique pour les administrations.
Le développement de services numériques "peut être appréhendé comme le moyen de rendre soutenable des réductions d'effectifs envisagés [par ailleurs]". Cette approche permet de valoriser "la volonté de préserver la qualité du service rendu" dans un contexte de contraction budgétaire et humaine. Or, l'articulation entre numérique et réorganisation "apparaît à ce jour limitée" et la "contribution du numérique aux économies [est] en deçà de son potentiel". Comme le note Didier Migaud, "en termes d'organisation, l'Etat n'a pas tiré toutes les conséquences du développement d'une offre de services dématérialisés". Le rapport critique le "faible apport des services numériques à la modernisation de l'administration". Pour la Cour des comptes, le numérique n'a que "peu" contribué à simplifier les procédures et relève encore d'un potentiel inexploité. Soit parce que les coûts de dématérialisation sont supérieurs aux gains (pour les taxes à faible rendement par exemple), soit parce que la dématérialisation ne s'est pas accompagnée d'une simplification de la procédure. Pour ce qui est de la gestion par la donnée, l'Etat n'en est pour l'instant qu'au début de l'expérience et un renforcement des moyens d'action de l'administrateur général des données pourrait accélérer la diffusion d'une "culture de la donnée". Autre enjeu, celui de la "reconfiguration des services" et des "réseaux territoriaux", qui sont restés "quasi inchangé[s] à ce jour" alors même que le développement des services à distance devrait les faire évoluer. Un travail sur les horaires d'ouverture des guichets pourraient ainsi être mené. Enfin, les rapporteurs décrivent une "stratégie de recrutement déconnectée des enjeux du numérique" marquée par des "faiblesses dans la gestion prévisionnelles des emplois et des compétences" et des "lacunes" dans l'"anticipation des besoins".
Ainsi, pour Didier Migaud, "la question aujourd'hui n'est plus seulement d'être en mesure de déployer une offre nouvelle, mais de savoir en tirer tout le parti".
Malgré un constat mitigé, la Cour des comptes se veut tout même optimiste et estime, à travers la voix de son premier président, que le contexte actuel est favorable pour "progressivement généraliser le recours aux services publics numériques". Didier Migaud propose de renverser les logiques en matière de fracture numérique. Celle-ci "ne doit plus être appréhendée comme un frein à la modernisation numérique mais comme une donnée qu'il faut prendre en considération et corriger". Autrement dit, elle ne doit plus faire "obstacle" aux projets numériques mais au contraire inciter à allier généralisation et inclusion.
Les "grands projets structurants" actuellement menés par l'Etat "pourraient ouvrir des perspectives prometteuses" selon Didier Migaud. En matière de gouvernance tout d'abord, où l'Etat dispose désormais d'outils et d'instances clairement définis pour mener à bien sa transformation numérique. Un "cadre stratégique commun du système d'information de l'Etat" a été établi et la Direction interministérielle du numérique et des systèmes d'information et de communication (Dinsic) (rattaché au Secrétariat pour la modernisation de l'action publique – SGMAP) a été créée pour en coordonner les actions. D'un point de vue technique, le choix d'imposer l'interopérabilité et l'interconnexion des différents systèmes utilisés par les différentes administrations a été salué comme "décisif" par le premier président, à l'image de ce qui est réalisé autour de la stratégie Etat-plateforme. Léger bémol, seul 10% (300 millions d'euros sur 3,2 milliards) du budget informatique de l'Etat est effectivement consacré aux services publics numériques. La plus grande part des dépenses est liée aux dépenses de fonctionnement. Quant à la re-internalisation des compétences, elle peut être valorisée dès lors qu'elle obéit à une stratégie prédéfinie.
"Le choix de la généralisation du recours aux services publics numériques est réaliste", pour le premier président. Il "est raisonnable dès lors qu'il s'appuie sur une mise en œuvre volontariste et progressive". En d'autres termes, il ne pourra pas être "immédiat, complet et général". La démarche devra être volontariste dans le sens où elle sera délimitée (énumération précise des procédures concernées), inscrite dans un "calendrier relativement bref" (éviter la dilution) et accompagnée d'une "communication soutenue et incitative". Progressive car elle "pourrait être différenciée selon les procédures", en privilégiant par exemple les téléprocédures les plus anciennes ou les plus simples (propagande électorale, changements de coordonnées…).
Ce choix doit également "obéir à une approche pragmatique […], agile, cohérente et focalisée sur les besoins des usagers". L'"agile" est une pratique répandue dans les projets numériques qui vise à travailler par itération, par petite avancées successives, fondée sur l'échange entre les porteurs et les usagers et non par "grandes bascules périlleuses en terme d'années de développement informatique". Pour Didier Migaud, cette méthode - déjà largement utilisée au sein du SGMAP - "devrait inciter l'Etat à se concentrer sur le déploiement d'outils visant à la fédération et à l'harmonisation des systèmes d'information de l'Etat". Enfin, dans le cas de procédures difficiles à dématérialiser de bout en bout (production des titres d'identités), des services connexes d'accompagnement peuvent être proposés en ligne (prise de rendez-vous, télépaiement…).
L'usager doit désormais être placé au centre des projets de téléprocédures : accessibilité, plateforme unique ("service-public.fr"), système d'authentification simplifié (France Connect), protection des données (association de la Cnil, hébergement en France)… Mais au-delà des téléprocédures, c'est également l'accompagnement qui doit être réévalué et inscrit dans une "logique de service". Pour généraliser les services publics en ligne, il est nécessaire que tous les citoyens disposent de l'équipement adéquat. Aussi, un travail de mise à disposition d'équipement et d'accompagnement devra être fait dans les territoires. Pour Didier Migaud, il semble "raisonnable d'équiper de points d'accès aux services publics numériques les réseaux existants : mairies, préfectures, bureaux de poste, gares, bibliothèques, caisses d'allocations familiales, mais aussi maisons de services au public en milieu rural ou espaces publics numériques en milieu urbain". Parallèlement, "un programme d'accompagnement individualisé pourrait aussi être prévu" par le biais d'une assistance téléphonique, de permanences… Le recours à des tiers de confiance ou à des volontaires "pourrait être facilité pour les personnes fragiles, dépendantes, âgées ou handicapées".
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